Simone Weil. Philosophie, mystique, esthétique
Les cahiers de philosophie de l’Institut français de Budapest
Gizella Gutbrod, Joël Janiaud, Enikő Sepsi (dir.)
Série dirigée par Miklos Vető
Dans de nombreux pays, on lit Simone Weil avant tout comme
penseur politique et social ; toutefois, cette philosophe n’a jamais
cessé d’être une disciple des penseurs classiques de l’Occident
qu’elle réintègre dans une doctrine métaphysique et morale,
nourrie par l’expérience spirituelle, formulée selon les termes
des enseignements fondateurs du christianisme. La philosophie
weilienne est de facture très classique : exposée dans des textes
restés fragments, elle ne forme pas moins un ensemble de doctrines
qu’unifie une intuition morale de portée proprement métaphysique.
Cet esprit généreux, inspiré par le désir du service du
prochain, considère l’obéissance, l’humilité, la pauvreté comme
autant de principes de toute doctrine sur l’homme et sur le
monde. La prescription de l’obéissance, de l’humilité, de la pauvreté
traduisent une conception du moi qui, ayant une condition
métaphysique illégitime de centre du monde, est appelé à renoncer
à soi, à s’abandonner. Bref, créature jouissant d’une position
usurpée de centre, il ne réalise sa vérité que par la décréation.
La décréation ramène le moi à la condition qui lui est propre
d’un point de vue moral aussi bien que métaphysique. La reconnaissance
de notre néant, la réalisation conceptuelle aussi bien
qu’effective
de ce non-être, de cette non-valeur que nous sommes
n’est pas néanmoins source d’un ascétisme stérile ; elle n’a rien
à voir avec un régime d’anorexie métaphysique. La décréation
met fin à la prétention d’un individu de compter plus que tout
autre, de valoir comme une fin en soi exclusive et elle ouvre la
voie devant la compréhension profonde et la pratique véritable
de l’éthique et de l’esthétique. |